
L’année 2025 aura vraiment été une très belle année de jeu vidéo, et bien heureux.se cellui qui sera capable de choisir sans aucune hésitation quel est son GOTY absolu. J’écris ces lignes au mois d’Août et je sais déjà que la tâche sera ardue au vu de la qualité exceptionnelle des titres qui ont ponctué mon temps de jeu. Dans cet océan de contenu de haute volée, il existe pourtant un jeu qui se démarque du lot. Un jeu au message si fort qu’il a su dépasser la frontière du divertissement pour marquer un tournant dans ma vie réelle et me pousser à l’action militante.
Wednesdays est un objet rare. Le genre d’œuvre qui marque un avant et un après dans l’existence, qui agit comme le révélateur de quelque chose de puissamment enfoui et intériorisé depuis de longues années. Une thérapie de choc, un court-circuit, une bombe. Disons le clairement avant d’aller plus loin, pour ne pas risquer de heurter la sensibilité de quiconque, ce jeu, et cet article par extension, parleront sans détour d’inceste et de violences sexuelles sur mineur. Si vous n’êtes pas à l’aise avec le sujet, je vous invite à arrêter votre lecture ici. Personne ne vous jugera. Il faut du temps pour être en capacité d’entendre les histoires personnelles de chacun comme pour écouter la sienne propre.
Clair-Obscur.
La première question qui se pose lorsqu’on se retrouve face à un titre à la thématique si rugueuse, c’est sa façon de transcrire en jeu, et donc de manière ludique, un message si lourd de sens. Cela paraît inconcevable, vertigineux et peut-être même un peu malaisant ou voyeuriste de prime abord. Et à bien y réfléchir, je crois que par dessus tout, c’est d’abord cette curiosité quant au traitement du sujet qui a pris le pas sur le reste. J’avais envie d’expérimenter par moi-même cette plongée en eaux profondes qui m’effrayait terriblement, mais dont je savais par mon vécu professionnel combien elle était fondamentale pour être en mesure de panser les blessures des âmes violentées.
Le fait est que la finesse apportée au travail d’écriture aura rapidement apaisé mes craintes. Car Wednesdays ne tombe jamais dans l’écueil misérabiliste et larmoyant habituel à de trop nombreuses œuvres sur le sujet. Bien au contraire, c’est toujours avec beaucoup de dignité et de tact que nous explorons les souvenirs de Tim, qui au-delà de son statut juridique de victime, est avant tout présenté comme un être humain en quête d’acceptation de soi et de reconstruction. The Pixel Hunt fait le choix de s’attacher aux faits dans ce qu’ils ont de plus brut, mais cela sert le dessein de nous faire appréhender le concept d’amnésie traumatique et de libération de la parole chez l’enfant. Deux notions clés qui sont parfois méconnues du grand public et qui interrogent les délais de prescription pour les délits commis sur les mineurs.

Safe Space.
Avec intelligence, Wednesdays scinde son gameplay en deux parties distinctes qui nous offrent de ressentir concrètement la dissociation, le cloisonnement psychique qui s’est opéré chez Tim suite à son viol. D’un côté, nous incarnons le Tim du présent, qui relance un ersatz du Rollercoaster Tycoon de son enfance sur son PC, et s’amuse à redécouvrir ce jeu de gestion sur lequel il a passé de nombreuses heures chaque mercredi après-midi. De l’autre, nous observons à distance les souvenirs du Tim du passé, qui ressurgissent au fur et à mesure que nous plaçons des attractions dans le parc, comme autant de bulles de pensées qui cheminent depuis l’abîme et éclatent à la surface de la conscience.
Libre à nous, en tant que joueur, de choisir si nous sommes prêt ou non à entendre ce que chaque souvenir a à nous dire de l’histoire de Tim. Dans un soucis d’accessibilité, par respect pour la sensibilité et le chemin de vie de chacun, le jeu nous prévient des thèmes qui seront abordés dans l’épisode à venir et ne nous force jamais la main. Un geste d’une rare élégance qui fait honneur à ce média que j’affectionne particulièrement et qui montre l’attention apportée par le studio à tout ce qui environne son message principal. Wednesdays se révèle de ce fait d’une bienveillance enveloppante qui me paraît propice à l’émergence de la réflexion sur son propre vécu ainsi que sur celui des autres.

Feu de tout bois.
Si cette douceur n’édulcore en rien le sujet dramatique et révoltant contre lequel milite activement le studio en réalisant cette œuvre, elle permet cependant d’en parler ouvertement sans choquer ni révulser, et donc sans risquer de s’inscrire dans une démarche contre-productive. A titre personnel, je pense que la bonhomie des visuels de la partie faux jeu de gestion, la présence rassurante de la mascotte du parc, et le choix d’une palette de couleurs pastel, presque veloutée dans les dessins d’Exaheva, m’ont permis d’intérioriser plus facilement l’âpreté des évènements. En définitive, aussi étonnant que cela puisse paraître, The Pixel Hunt parvient à faire de Wednesdays un jeu lumineux qui ouvre la porte à l’après sans nous engluer dans l’apathie et l’absence de pistes d’action.
C’est de ma rencontre avec ce jeu qu’est née l’étincelle qui a su éveiller en moi l’envie de porter le feu de la lutte associative contre toutes les formes de violences faites aux enfants. Car l’histoire de Tim n’est malheureusement pas un cas isolé, mais celui de dix pourcent des enfants qui sont ou ont été victimes d’abus sexuels intra-familiaux au cours de leur vie. Un chiffre aberrant, terrifiant, qu’il nous incombe toustes de combattre par tous les moyens dont nous disposons. Pour ma part, j’ai choisi de devenir référent départemental pour l’association Les Papillons, qui œuvre chaque jour à la libération de la paroles des enfants par l’écrit. Alors, je ne saurais que vous conseiller de jouer à Wednesdays, de le partager au monde entier, et de rejoindre la lutte. Pour tous les enfants.
Aborder le thème des violences sexuelles et de l'inceste subi par les mineurs demande beaucoup de délicatesse et exige une finesse d'écriture qu'il n'est pas toujours évident de mobiliser. Force est de constater que The Pixel Hunt nous propose un jeu sincère, qui parvient à aborder de front ces questions sensibles, sans jamais sombrer dans le parodique ou le larmoyant. Une œuvre magnifique et d'intérêt public.
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